19-Phèdre- XXXIV- L'âme désorientée |
|
Descriptions des protagonistes et curée... Réticence, scrupules, honte, pudeur... Maitrise de l'attelage et consentement L'enjeu des 3000 ans, bonus ! La vertu sans amour errera 9000 ans |
|
XXXIV. p132- Au début de cette allégorie, j'ai distingué dans l'âme trois parties, et assimilé les deux premières... |
|
p133 Descriptions des protagonistes et curée ...à des chevaux et la troisième à un cocher. Continuons à faire usage de la même figure. Des deux chevaux, disions-nous, l'un est bon, l'autre ne l'est pas; mais nous n'avons pas dit en quoi consistait la bonté de l'un, Le premier, placé à droite, est droit et bien découplé, d'encolure haute, les naseaux aquilins, la robe blanche et les yeux noirs; il est amoureux de l'honneur, de la tempérance et de la pudeur, attaché à l'opinion vraie; la parole et la raison, sans les coups, suffisent à le conduire; l'autre, au contraire, est tordu, épais, mal bâti, le cou trapu, l'encolure courte, la face camarde, fa robe noire, les yeux bleus et injectés de sang; il est ami de la violence et de la fanfaronnade, il est velu autour des oreilles, il est sourd et n'obéit qu'avec peine au fouet et à l'aiguillon. Quand donc le cocher, apercevant l'objet d'amour, sent toute son âme prendre feu et qu'il est envahi par les chatouillements et les aiguillons du désir, le cheval docile aux rênes, dominé comme toujours par la pudeur, se retient de bondir sur le bien-aimé; mais l'autre, sans souci de l'aiguillon ni du fouet, saute et s'emporte avec violence; il donne toutes les peines du monde à son compagnon d'attelage et à son cocher, et les contraint d'aborder le jeune garçon et de l'entretenir "des plaisirs d'Aphrodite". Tous les deux résistent d'abord, indignés qu'on les pousse à des démarches si hardies et si criminelles; mais à la fin, comme il ne cesse de les tourmenter, ils se laissent entraîner, cèdent et consentent à lui obéir; ils s'approchent du jeune homme et contemplent cette apparition resplandissante. Réticence, scrupules, honte, pudeur... Tandis qu'ils reculent, l'un, de honte et de stupeur, mouille de sueur l'âme tout entière; |
|
p134, à revenir à la charge, et c'est à grand-peine qu'il accorde un délai à leurs prières. Le terme échu, comme ils font semblant d'oublier, il leur rappelle leur engagement, les violente, hennit, les tiraille et les force à s'approcher du jeune garçon pour lui faire les mêmes propositions; puis, quand ils sont en sa présence, avançant la tête, tendant la queue, mordant le frein, il les traîne avec effronterie; mais le cocher, saisi d'une émotion plus forte encore que la première fois, comme s'il se rejetait en arrière à l'entrée de la carrière, tire encore plus fort sur la bouche du cheval emporté, ensanglante sa langue insolente et ses mâchoires, le renverse sur ses jambes de derrière et sa croupe, et le fait souffrir. Maitrise de l'attelage et consentement Lorsque, après plusieurs expériences de cette nature, le cheval vicieux a perdu sa fougue et se sent dompté, il obéit désormais à son prévoyant cocher, et, quand il voit le bel enfant, il se meurt de terreur. C'est alors seulement que l'âme de l'amant suit le jeune garçon avec respect et avec crainte. XXXVI. - Le jeune homme qui se voit entouré de soins de toute sorte et honoré comme un dieu par un amant, non pas simulé, mais véritablement épris, et qui se sent naturellement porté par l'amitié vers son adorateur, a pu auparavant entendre ses condisciples ou d'autres personnes dénigrer l'amour et soutenir qu'il est honteux d'avoir un commerce amoureux, il a pu sous ce prétexte repousser son amant; mais avec le temps, l'âge et la loi de la nature l'amènent à le recevoir dans son intimité; car il n'a jamais été dans les arrêts du destin qu'un méchant soit l'ami d'un méchant, et qu'un homme de bien ne puisse être l'ami d'un homme de bien. Or quand le jeune homme a consenti à l'accueillir dans sa compagnie, et à prêter l'oreille à ses discours, l'affection de l'amant, circonvenant son coeur de plus près, le ravit; il comprend que l'affection de tous les amis et parents ensemble n'est rien auprès de celle d'un amant inspiré. Quand il s'est prêté à ces relations pendant quelque temps, qu'il s'est approché de lui et l'a touché dans les gymnases et les autres réunions, dès lors la source de ce courant que Zeus, amoureux de Ganymède, a nommé le désir, roulant à grands flots vers l'amant, pénètre en lui, et quand il en est rempli, le reste s'épanche au-dehors, et, comme un souffle ou un son renvoyé par un corps lisse et solide revient au point d'où il est parti, ainsi le courant de la beauté revient dans l'âme du bel enfant par les yeux, chemin naturel de l'âme, ouvre les passages |
|
p135 des ailes, les arrose et en fait sortir les ailes, et remplit en même temps d'amour l'âme du bien-aimé. Il aime donc, mais il ne sait quoi; il ne se rend pas compte de ce qu'il éprouve et il est incapable de l'expliquer; comme un homme qui a pris l'ophtalmie d'un autre, il ne peut dire la cause de son mal, et il ne s'aperçoit pas qu'il se voit dans son amant comme dans un miroir. En sa présence, il oublie, comme lui, ses tourments; en son absence, il le regrette, comme il en est regretté; son amour est l'image réfléchie de l'amour de son amant; mais il ne l'appelle pas amour, il n'y voit que de l'amitié. Comme lui, quoique plus faiblement, il désire le voir, le toucher, le baiser, coucher à ses côtés, et naturellement il ne tarde pas à le faire. Tandis qu'il est couché près de- lui, le cheval lascif de l'amant a bien des choses à dire au cocher, et pour prix de tant de peines il réclame un peu de plaisir. Le cheval du jeune homme n'a rien à dire; mais, gonflé de désirs vagues, il embrasse l'amant et le baise, comme on caresse un tendre ami, et, quand ils sont couchés ensemble, il est prêt pour sa part à donner ses faveurs à l'amant, s'il en fait la prière. Mais d'un autre côté son compagnon et le cocher s'y opposent au nom de la pudeur et de la raison. L'enjeu des 3000 ans
A la fin de leur vie, reprenant leurs ailes et leur légèreté, ils sortent vainqueurs d'une de ces trois luttes qu'on peut appeler vraiment olympiques (référence au 3 épreuves olympiques victorieuses et des 3 révolutions de 1000 ans des âmes philosophiques- voir notes 135 dans texte de référence) , et c'est un tel bien que ni la sagesse humaine ni le délire divin ne sont capables d'en procurer à l'homme un plus grand. Mais s'ils ont embrassé un genre de vie moins noble, où la philosophie n'a point de part, s'ils s'attachent aux honneurs, il se peut que, dans l'ivresse ou dans tout autre moment d'oubli, les deux chevaux intempérants de l'un et de l'autre surprennent leurs âmes sans défense, les amènent au même but, et fassent un choix que le vulgaire trouve enviable : qu'elles assouvissent leurs désirs. Leur brutalité satisfaite, ils recommencent encore, mais rarement, parce qu'une telle conduite n'est pas approuvée de l'âme tout entière. Ces amants aussi restent amis, mais moins étroitement que |
|
p136 PHÉDRE/2564-257c les premiers, et dans le temps de leur passion et après qu'elle s'est éteinte; car ils pensent qu'ils se sont donné et ont reçu mutuellement les gages les plus solides, qu'il serait impie de briser de tels noeuds et d'en venir à se haïr. A la fin de leur vie, sans ailes encore, mais brûlant d'en avoir, leurs âmes sortent du corps et sont récompensées magnifiquement de leur délire amoureux; car la loi défend que celles qui ont commencé leur voyage céleste descendent dans les ténèbres d'un voyage souterrain; elles mènent une vie brillante et heureuse, en voyageant ensemble, et quand elles reçoivent des ailes, elles les reçoivent ensemble en récompense de leur amour. La vertu sans amour errera 9000 ans XXXVIII. - Tels sont, mon enfant, les grands et divins avantages que te procurera l'affection d'un amant; mais l'intimité d'un homme sans amour, gâtée par une sagesse mortelle, appliquée à ménager des intérêts périssables et frivoles, n'enfantera dans l'âme de l'aimé que cette bassesse que la foule décore du nom de vertu, et la fera rouler, privée de raison, autour de la terre et sous la terre, pendant neuf mille années., Voilà, cher Eros, la palinodie la plus belle et la meilleure que j'aie pu faire pour te l'offrir en expiation; si les idées et particulièrement les expressions ont une couleur poétique, c'est Phèdre qui m'a forcé à parler ainsi. Pardonne à mon premier discours, prends en gré celui-ci; sois-moi favorable et propice; ne m'ôte pas, ne diminue pas dans ta colère cet art d'aimer dont tu m'as fait présent; accorde-moi au contraire d'être prisé plus que jamais dans la société des beaux jeunes gens. Si tout à l'heure, Phèdre et moi, nous t'avons offensé dans nos discours, accuses-en Lysias, le père de ce débat; oblige-le à renoncer à de telles compositions, et tourne-le vers la philosophie comme son frère Polémarque s'y est tourné, afin que son amant qui m'écoute ne reste point partagé entre deux partis, mais qu'il consacre résolument sa vie à l'amour réglé par la philosophie. » PHÈDRE |
|
|
|